Des pièces de puzzle à la pilule : concevoir un médicament à partir de fragments
La méthode des « fragments » consiste à concevoir de nouveaux médicaments à partir de petites molécules. Ces fragments sont choisis pour cibler certains sites de protéines impliquées dans l’apparition d’une pathologie. Ils sont ensuite agencés entre eux et « habillés » pour construire une plus grosse molécule qui agit efficacement sur la protéine ciblée. Encore faut-il concevoir les bons fragments de départ ! Des pharmaco-chimistes du CNRS, en collaboration avec une équipe italienne, démontrent le potentiel d’une famille de petites molécules fluorées pour cette approche.
Une nouvelle approche pour la conception de médicaments a émergé vers la fin des années 90 dans le secteur de la recherche et l’industrie pharmaceutiques : la méthode dite « des fragments », fragment-based drug design ou FBDD en anglais. Cette méthode consiste à sélectionner, parmi de vastes banques de petites molécules (ou « fragments »), celles qui seront les plus susceptibles de se lier efficacement à certains sites d’une protéine en cause dans l’apparition d’une pathologie. Un fragment à lui seul ne présente aucune activité thérapeutique. Mais la construction d’un édifice moléculaire plus vaste à partir de fragments bien choisis est une stratégie très efficace pour concevoir un nouveau médicament qui, in vivo, présentera une activité sélective sur la protéine. Par rapport aux méthodes de criblage haut débit de molécules thérapeutiques, la FBDD est plus simple, plus rapide, et surtout plus économe en synthèses. Le premier médicament conçu par FBDD et mis sur le marché en 2011 est le vémurafénib qui permet de traiter de façon ciblée certains mélanomes ou maladies rares comme l’histiocytose langhéransienne. Depuis, de nombreux autres candidats médicaments ont été conçus et sont, pour certains, en cours de tests cliniques. La sélection des fragments de départ reste l’étape clé de cette méthode car ceux-ci doivent répondre à un cahier des charges exigeant pour avoir le potentiel de futurs médicaments.
Des scientifiques des universités de Rennes et de Florence (Italie) se sont alliés dans le cadre d’une collaboration internationale* pour répondre à ces exigences. Des chimistes de l’Institut des sciences chimiques de Rennes (CNRS/Université Rennes/ENSCR/INSA Rennes) ont synthétisé et étudié une classe de fragments présents dans 72 médicaments approuvés et qui contiennent un hétérocycle azoté (une molécule organique cyclique composée d’atomes de carbone et d’azote). Ces cycles tridimensionnels de pipéridine sont particulièrement solubles dans les milieux biologiques. Pour l’habillage de ces fragments par d’autres fonctions chimiques, ils ont notamment inséré des atomes de fluor qui permettent de mieux contrôler la biodisponibilité et la sélectivité de la molécule finale envers sa cible et prévenir aussi certains effets secondaires cardio-toxiques du médicament.