Les espèces eucaryotes non cultivées du plancton révèlent enfin leurs secrets
À partir de données de séquençage massif d’ADN récolté à la surface des océans et des mers (expéditions Tara Oceans), et après plus de 10 années de labeur, une équipe internationale, notamment du laboratoire Adaptation et diversité en milieu marin (AD2M, CNRS / Sorbonne Université) au sein de la Station Biologique de Roscoff (SBR, CNRS / Sorbonne Université), pilotée par des chercheurs du CNRS et du CEA-Genoscope a résolu un des plus grands puzzles de la biologie environnementale. En effet, l’équipe a réussi à unir près de 300 milliards de petits fragments d’ADN du plancton pour reconstruire des centaines de génomes eucaryotes qui échappaient aux approches classiques de culture. Cette étude, qui a permis de révéler des secrets de nombreuses espèces primordiales pour l’écosystème océanique global et de mettre en lumière le lien complexe entre évolution et capacité fonctionnelle des eucaryotes unicellulaires, a été mise en ligne le 28 avril dans la revue Cell Genomics.
Les micro-organismes eucaryotes sont très abondants à la surface des océans. Ils y exercent une influence considérable dans les cycles biogéochimiques et le climat mondial. Ces organismes incluent des lignées bien connues comme certaines algues vertes et diatomées, mais aussi une majorité d’espèces non décrites. En effet, l’énorme diversité du plancton eucaryote est en majeure partie récalcitrante à la culture en laboratoire, limitant notre compréhension des fonctions de ces organismes. Une caractérisation génomique sans culture pourrait nous permettre de mieux comprendre leur évolution et traits fonctionnels, le rôle des espèces clés dans les cycles biogéochimiques, ou encore leur capacité de résilience face au changement climatique. Pour cela, il fallait résoudre l’un des plus grands puzzles de génomique environnementale de notre époque : reconstruire les génomes de grande taille des espèces eucaryotes à partir des millions de fragments d’ADN obtenus par séquençage du planctoniques. Jusque-là, la communauté scientifique utilisait principalement cette approche sur les microorganismes dont les structures génomiques sont beaucoup plus simples : les bactéries et virus.
Une étude publiée dans Cell Genomics surprend la communauté scientifique en décrivant un premier succès notable dans la caractérisation génomique des eucaryotes à grande échelle sans passer par la culture, révélant dans le même temps une surprise quant à leurs capacités fonctionnelles. Les chercheurs ont utilisé près de 300 milliards de séquences courtes d’ADN, l’équivalent de 10,000 génomes humains, produites au fil des ans au Genoscope à partir d’échantillons de surface de l’océan planétaire collectés lors des expéditions Tara Oceans, et ont réussi à reconstruire des centaines de génomes d’espèces eucaryotes abondantes dans le plancton. Cette ressource inclut notamment le plus gros génome caractérisé à ce jour pour le plancton (plus d’un milliard de nucléotides), couronnant le succès de cette approche environnementale. Elle inclut aussi de nombreuses branches de l’arbre du vivant jusque-là inconnues. Si une luciole éclairait chaque génome connu dans l’arbre du vivant, nous aurions grâce à cette étude un arbre décoré de nombreuses nouvelles branches lumineuses.