Le lourd fardeau économique des invasions biologiques en France
Même si on parle assez peu des invasions biologiques dans le débat public, elles n’ont rien d’anodin. Il s’agirait même de la seconde menace pesant sur la biodiversité, devant le changement climatique. Des scientifiques du CNRS, de l’Université Paris Saclay, du Muséum National d’Histoire Naturelle et de l’Université de Rennes 1 viennent de livrer l’estimation la plus complète des coûts engendrés par les espèces envahissantes en France : entre 1,2 et 10,6 milliards d’euros en seulement 25 ans. Ces résultats, publiés dans un Numéro Spécial de NeoBiota le 29 juillet 2021, ont été obtenus grâce à la base de données InvaCost. L’augmentation annuelle de ces coûts, encore sous-estimés, ne montre aucun signe de ralentissement.
Les invasions biologiques sont l’une des causes majeures de perte de biodiversité dans le monde, mais la prise de conscience de cette menace pour les écosystèmes et nos sociétés reste très faible. Les espèces introduites par les activités humaines hors de leur aire de répartition naturelle génèrent pourtant d’importants dégâts économiques ou sanitaires en plus de leurs impacts écologiques. Dans ce cadre, une équipe du Laboratoire Écologie, systématique et évolution (ESE – CNRS/Univ Paris-Saclay/AgroParisTech) a décidé d’accélérer cette prise de conscience en étudiant les coûts économiques de ces invasions biologiques. Pendant plus de 5 ans, cette équipe a développé InvaCost, la première base de données mondiale sur les coûts engendrés par les espèces exotiques envahissantes. Évolutive et librement accessible, cette base de données regroupe maintenant plus de 13 000 coûts standardisés et déclinés en 64 descripteurs sur 970 espèces envahissant 176 pays.
Franck Courchamp, Directeur de Recherche CNRS et leader du projet explique « avec cette énorme base de données sur un sujet qui est très peu synthétisé, nous avons cherché des experts du monde entier pour analyser les coûts dans différentes régions du monde ». En mettant l’accent sur les jeunes chercheurs et sur l’équité des genres, l’équipe de recherche a ainsi collaboré avec une quarantaine d’écologues et des économistes du monde entier pour mettre sur pied une vingtaine d’études sur le coût économique des invasions dans 5 continents, la région Méditerranéenne et 13 pays. Ces 19 études au final co-signées par 63 auteurs sont regroupées au sein d’un Numéro Spécial de NeoBiota, le premier journal international spécialisé sur les invasions biologiques, paru le 29 juillet 2021. « Russie, Japon, Mexique, Argentine ou France, la plupart de ces pays n’avait jusqu’ici qu’une connaissance très limitée des dégâts immenses causés à leurs économies par les invasions biologiques », explique Boris Leroy du MNHN, qui a participé au projet depuis sa conception. « La standardisation des coûts économiques a permis de mettre en évidence leur complexité, mais également les sommes étonnamment élevées pour un processus ignoré par les services publics de la plupart des pays », ajoute Christophe Diagne, responsable du projet InvaCost depuis trois ans à l’université Paris Saclay.
La France fait en effet partie des études nationales présentes dans ce Numéro Spécial. Menée par le Professeur David Renault de l’Université de Rennes 1, membre du laboratoire Ecosystème, Biodiversité, Evolution (ECOBIO, CNRS/Université de Rennes 1) cette étude regroupe plus de 1500 coûts économiques causés par une centaine d’espèces exotiques envahissantes en métropole et en outremer. Les coûts totaux se situent entre 1,2 et 10,6 milliards d’euros sur les 25 dernières années, auxquels au moins 3 milliards pourraient être ajoutés si l’on extrapole les coûts d’espèces présentes pour lesquels des coûts ne sont quantifiés qu’en dehors de la France. « Ces coûts sont grandement sous-estimés » estime David Renault « ne serait-ce que parce que certaines régions ne les recensent pas ou peu, et qu’on ne connait des coûts que pour une petite fraction des plus de 2500 espèces exotiques présentes en France ». En France, comme dans la majorité des autres pays, les dépenses de gestion de ces invasions sont minimes par rapport aux coûts des pertes et des dégâts liés à ces invasions. « Pertes agricoles ou forestières, dégâts sur les infrastructures, coût pour la santé ou le tourisme, les secteurs d’activité impactés ne manquent pas » explique Christophe Diagne, « et il ne s’agit là que de la partie émergée de l’iceberg » ajoute-t-il, « il reste encore tellement de coûts à répertorier, certains secteurs lourdement touchés n’ont encore aucune quantification des pertes dues aux invasions biologiques ».