La radioactivité moteur de l'émergence de la vie ?
La radioactivité entretient dans les roches profondes une chimie qui transforme les carbonates en petites molécules organiques. La quantification in vitro de ce phénomène, par l'équipe de radiochimie du Laboratoire de physique subatomique et des technologies associées (Subatech - CNRS/Institut Mines-Télécom/Université de Nantes), a permis aux géochimistes de Grenoble et de l'IPGP de confirmer qu'il aurait pu jouer un rôle important dans l'émergence de la vie sur Terre. Une étude parue dans Earth and Planetary Science Letters le 15 juin 2021.
Dans la grande salle du cyclotron Arronax à Nantes, de petites bulles s'échappent d'un bocal d'eau exposé aux rayonnements. Il s'agit de dégagements d'hydrogène et de gaz carbonique, signe que dans le liquide une chimie très particulière est à l'œuvre : la radiolyse. Sous l'action des rayonnements, l'eau et les carbonates dissous sont en effet décomposés, donnant naissance d'un côté à de l'hydrogène et de l'autre à des ions très réactifs qui, en se recombinant, permettent la formation de petites molécules organiques. Autrement dit, des molécules susceptibles d'être assimilées par des organismes vivants ou de servir de base à la formation de molécules biologiques. "On constate la présence de formate (HCOO-), d’acétate (CH3COO-) et d'oxalate (C2O42-), précise Johan Vandenborre, auteur de l'expérience. Les taux mesurés augmentent progressivement montrant de façon très nette une accumulation de ces molécules." En somme, dans les bocaux du chercheur, s'opère de façon totalement spontanée une transition du monde minéral vers un monde organique propice au développement de la vie. Restait à démontrer que ce qui était observé in vitro était compatible avec l'environnement terrestre.
Un phénomène à l'œuvre partout sur Terre
C'est la tâche à laquelle s'est attelé Laurent Truche, géochimiste à l'Institut des sciences de la Terre (ISTerre) à Grenoble. Il a confronté les valeurs obtenues à SUBATECH avec la composition d'échantillons de roche très profondes et anciennes dans lesquelles une vie microbienne prospère en totale autarcie, parfois depuis plusieurs milliards d'années. Résultat, les taux de production coïncident bien avec ce qui est trouvé dans l'environnement, renforçant par la même l'hypothèse que la radioactivité naturelle des sols puisse avoir joué un rôle important dans l'émergence de la vie sur Terre. La radioactivité est en effet omniprésente depuis l'origine dans l'ensemble du globe. Elle a donc pu alimenter sur des milliards d'années avec une constance remarquable le développement progressif d'une activité biologique.