Isabelle Bihannic : l’imagerie au service de la recherche

Entretien Science et société Terre et Univers

Arrivée cet été à l’Observatoire des sciences de l’environnement de Rennes (CNRS/Université de Rennes/Université Rennes 2), Isabelle Bihannic est ingénieure de recherche CNRS. Elle est responsable opérationnelle de la plateforme d’imagerie du laboratoire et développe de nouvelles méthodologies pour que ces instruments répondent au mieux aux questions scientifiques.

A l'occasion de la journée internationale des femmes et filles de sciences, le 11 février 2025, et jusqu'à la journée internationale des droits des femmes le 8 mars 2025, découvrez la diversité des recherches menées par les scientifiques du CNRS à travers une série d'entretiens. Cette opération est labellisée Année des Géosciences 2024-2025.


 

Quel est votre parcours ?

Comme je suis d’origine bretonne, j’ai commencé mes études en physique-chimie à Brest, puis j’ai poursuivi en science des matériaux à Orléans. J’ai aussi passé une année en Erasmus à Sheffield (Royaume-Uni). J’ai obtenu mon doctorat entre Orléans et Nancy, ville où j’ai été recrutée en 2001 comme ingénieure de recherche CNRS à l’actuel Laboratoire interdisciplinaire des environnements continentaux (LIEC, CNRS/Université de Lorraine). En juillet 2024, j’ai rejoint l’Observatoire des sciences de l’environnement de Rennes (OSERen, CNRS/Université de Rennes/Université Rennes 2).

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’aller vers les sciences et la recherche ?

La recherche est le métier que j’ai toujours voulu faire, y compris quand j’étais trop jeune pour savoir que ça existait. Même si je n’avais pas construit de parcours d’étude pensé pour, j’ai cheminé naturellement, au fil des années, vers le laboratoire. J’ai baigné dans la curiosité et l’envie de comprendre grâce à ma mère, qui était institutrice. On découvrait les choses par des expériences et on avait toujours un dictionnaire à portée de main pour répondre à nos questions.

Le choix de la physique et des sciences des matériaux s’est fait un peu plus par hasard. Je suis cependant fascinée par la possibilité de mettre en équation des phénomènes de tous les jours. Je m’intéresse beaucoup aux liens entre la théorie et des formulations de concepts très appliqués.

Quelles sont vos missions au laboratoire ?

En tant qu’ingénieure de recherche, je suis responsable d’un parc d’instruments et du développement de nouvelles méthodologies d’utilisation, afin de répondre à des questions de recherche. Je travaille principalement sur la plateforme Imagéo de l’OSERen, fondée en 2022 sous la responsabilité de Joris Heyman, chargé de recherche CNRS à Géosciences Rennes (CNRS/Université de Rennes), et de Francesco Gomez, ingénieur d’étude à l’OSERen. Elle comporte notamment un tomographe à rayons X flambant neuf.

L’imagerie par rayons X permet de voir à l’intérieur des objets et matériaux, mais ce n’est pas suffisant. Elle doit aussi les quantifier. Par exemple, lorsque l’on analyse un milieu poreux, les instruments doivent permettre d’évaluer la taille des pores, leur espacement, la connexion entre eux, etc.

Nos machines servent ainsi à l’étude d’analogues de milieux poreux naturels, mais également à la paléontologie, à l’archéologie et aux sciences des matériaux. On va aussi vérifier comment un échantillon réagit après une déformation ou un traitement chimique.

© Jean-Claude Moschetti / Oseren / CNRS

Quel regard portez-vous sur la place des femmes dans votre discipline ?

Il existe des différences marquées entre les disciplines. Les femmes sont minoritaires en géologie, mais deviennent majoritaires au fur et à mesure que l’on entre dans les sciences de l’environnement. Il faudrait des chiffres pour le vérifier, mais j’ai l’impression que depuis mon entrée au CNRS, en 2001, les choses évoluent de façon positive avec davantage de femmes qui dirigent des laboratoires. Les différences existent toujours, mais elles sont moins marquées.

Les géosciences sont une discipline en pleine mutation, notamment via leurs liens avec les sciences environnementales : en quoi vos travaux s’inscrivent-ils dans cette démarche ?

Il y a un véritable continuum entre les deux disciplines. Je suis affectée à une unité d’appui de la recherche qui s’appelait, jusqu’au 31 décembre, l’Observatoire des sciences de l’Univers de Rennes. Il est devenu l’Observatoire des sciences de l’environnement de Rennes. Il n’y a pas de frontière bien marquée, les géosciences comme les sciences de l’environnement étant intrinsèquement interdisciplinaires. Ce qui change c’est sans doute la part des études sur le vivant, qui prend plus d’importance dans les travaux en sciences de l’environnement.

Les recherches en géosciences ne sont pas que des sciences de terrain, comment utilisez-vous aujourd’hui les technologies de pointe ?

Les techniques d’imagerie viennent en support de travaux plus théoriques, par exemple les études de modélisation du transport dans les milieux poreux. L’imagerie permet non seulement de décrire les milieux et les matériaux, mais aussi de vérifier comment se comportent les milieux soumis à des contraintes de type chimique ou à des déformations. 

Le tomographe à rayons X est actuellement très présent dans mes activités, mais j’emploie aussi d’autres techniques de microscopie basées sur de la lumière visible avec des lasers. On choisit le rayonnement en fonction de sa capacité à pénétrer dans le matériau. On peut même étudier, à l’échelle microscopique, des échantillons semi-transparents et vivants, comme des sections de plantes ou des bactéries qui se déplacent ou se déposent pour former des biofilms.

Quel message souhaiteriez-vous faire passer à la jeune génération ?

Qu’il ne faut pas se mettre de limites et qu’il faut aller de l’avant. Le cerveau n’est pas genré quand il fonctionne. Je pense par exemple à l’informatique, où l’on retrouve peu de femmes alors que, dans les débuts de la discipline, elles étaient celles qui programmaient. J’aide régulièrement des collègues à préparer des dossiers de concours et de promotions. Je constate que les femmes manquent souvent de confiance en elles et ont plus de mal à défendre leurs intérêts. Il faudrait qu’elles osent davantage. 

Je souhaiterai aussi leur dire qu’on a le droit à l’erreur. Il peut arriver que nos choix ne nous conviennent finalement pas mais nous pouvons ensuite rebondir. Et même si parfois, en début de carrière, nous pouvons vivre des périodes compliquées, nous pouvons tout à fait trouver un épanouissement dans notre métier par la suite. 

Analyse d’une roche par microtomographie aux rayons X, à la recherche de terriers fossiles. Echantillon fourni par Jules Charrondière, doctorant à Géosciences Rennes (équipe BIPE - Biodiversité: Interactions, Préservation, Evolution).© Jean-Claude Moschetti / Géosciences Rennes / CNRS